Le COVID-19 dans les parcours de vie

Par Laura Bernardi

Appliquer une perspective de parcours de vie pour comprendre les effets de COVID-19.
Quelles sont les grandes questions pour l’avenir ?

Il est désormais évident que la pandémie de COVID-19 a eu et continuera d’avoir des effets de grande ampleur sur la société. Les chercheur·es de tous les domaines ont travaillé à l’étude et à la compréhension de ses implications, mais ce n’est que le début. Dans un article de Richard A. Settersten Jr. (Oregon State University), Laura Bernardi (Université de Lausanne), Juho Härkönen (Institut universitaire européen et Université de Stockholm) et 15 autres collègues, ils et elles expliquent comment une perspective de parcours de vie peut contribuer de manière importante à la compréhension des effets de la pandémie COVID-19 sur les individus, les familles et les populations.
Dans cette première phase, de nombreuses questions sont soulevées qui devront être explorées et auxquelles il faudra répondre dans les années à venir. Il sera particulièrement important d’identifier et de suivre les effets à long terme et de se concentrer à la fois sur ceux de l’infection (being infected) par le virus et sur les conséquences économiques et sociales de la pandémie (being affected).

Santé 

  • Comment les expositions biologiques, psychologiques et sociales accumulées affectent-elles la santé pendant la pandémie COVID-19 ?
    L’épidémiologie des parcours de vie met l’accent sur l’influence potentiellement durable des expositions antérieures à la maladie et à l’adversité sociale. Par exemple, une mauvaise alimentation au début de la vie est un facteur de risque de syndrome métabolique (combinaison de diabète, d’hypertension et d’obésité), qui est un facteur de risque de COVID-19 grave. Une mission importante de la recherche est d’identifier comment ces expositions affectent le risque d’avoir une forme grave de COVID-19 ainsi que les réactions de santé psychologique et physique dues aux réponses de la société à la pandémie.
  • Comment les enfants subiront-ils les effets de la pandémie liés à la santé et au bien-être ?
    Il est nécessaire d’examiner les effets sur les enfants de différents groupes d’âge et de comparer leur développement dans le temps afin d’identifier les effets sur leurs santé physique et mentale futures. Étant donné que le COVID-19 crée une instabilité dans le bien-être économique et les relations d’une famille, les effets sur le développement et la santé des enfants, des jeunes et des jeunes adultes sont susceptibles de perdurer, en particulier dans les familles les plus vulnérables.

Contrôle et planification personnels

  • Quels seront les effets de l’instabilité et de l’incertitude sur les différents groupes d’âge au sein de la société ?
    Cette pandémie a créé beaucoup d’incertitude et à des degrés divers selon l’âge, le sexe, la classe sociale, l’appartenance ethnique et le régime social du pays d’origine. Selon l’étape de la vie, l’instabilité pose des défis distincts.
    Par exemple, les jeunes qui tentent d’entrer sur le marché du travail peuvent devoir revoir leurs attentes à la baisse et accepter qu’il y aura moins d’opportunités professionnelles pendant un certain temps. Les trentenaires peuvent être particulièrement vulnérables parce qu’ils et elles sont entré·es sur le marché du travail pendant la crise financière il y a dix ans et que beaucoup d’entre eux·elles ont maintenant une famille à charge. Toutefois, les jeunes disposent également d’une période plus longue pour s’adapter et éventuellement se remettre, tandis que les quarantenaires assument de grandes responsabilités pour les autres et ont moins de temps pour réorienter leur carrière.
  • Quelles seront les différences potentielles en fonction du statut socio-économique (SSE) de chacun ?
    Les différences de SSE signifient également que les individus et les familles ont des capacités différentes à s’adapter à ces changements. Les auteur·es affirment que les personnes ayant un statut socioéconomique faible et un travail précaire peuvent se retrouver en « mode survie » et sans aucun plan de secours à long terme. Les personnes au statut socioéconomique plus favorable et bénéficiant d’un emploi plus sûr peuvent avoir du mal à s’adapter, mais sont toujours en meilleure position pour atteindre leurs objectifs plus tard.

Relations sociales et famille

  • Dans le cadre où les individus et les couples pourraient décider de retarder les transitions familiales en raison de la pandémie, quel sera son impact à long terme ?
    La pandémie peut amener les partenaires à retarder leur emménagement, leur mariage ou leur fécondité, et à multiplier les séparations et les divorces. La recherche doit examiner comment la COVID-19 modifie la formation et la dissolution des familles, et si ces changements sont des chocs temporaires ou des tendances à long terme qui modifieront de façon plus permanente le calendrier des transitions familiales.
    Ces changements peuvent affecter la structure et la dynamique de la population, avec des conséquences sociétales plus importantes liées à des retards plus importants dans la transition vers l’âge adulte et à des taux croissants de célibat, d’absence d’enfants et de vieillissement de la population.

Éducation et formation

  • La pandémie va-t-elle accroître les différences de statut socioéconomique dans l’éducation des enfants ?
    Les effets du SSE peuvent devenir plus importants à mesure que les élèves passent à l’école à domicile ou à l’école virtuelle, car certains d’entre eux ont accès à de meilleures ressources, c’est-à-dire à un internet plus rapide, à une tablette ou un ordinateur portable personnel, à un espace à la maison pour se concentrer. Lorsque les parents travaillent à la maison, ils sont en mesure de mieux surveiller et aider les élèves dans leurs travaux scolaires.
  • Si les étudiant·es retardent leur transition vers le marché du travail ou l’enseignement supérieur, quel pourrait en être l’effet ?
    Les retards dans la transition entre l’école et le travail peuvent également signifier que des cohortes plus importantes obtiennent leur diplôme et cherchent en même temps un emploi et un logement. Cela pourrait créer une situation similaire à celle d’un baby boom. Cela augmenterait la concurrence avec ceux qui essayaient déjà de réaliser ces étapes lorsque la pandémie a commencé.

Travail et carrières

  • Quelles cohortes seront les plus touchées par la pandémie ?
    Les répercussions économiques de la pandémie affecteront les cohortes différemment. Par exemple, les nouveaux·elles arrivant·es sur le marché du travail pourraient subir des « cicatrices » durables en raison d’une transition difficile entre l’école et le travail. Comme indiqué plus haut, les cohortes qui ont commencé leur vie professionnelle pendant la crise financière il y a dix ans subissent aujourd’hui un nouveau choc pour leur carrière.
  • Comment les femmes sont-elles spécifiquement touchées par la pandémie ?
    Cette pandémie a eu un impact particulier sur la carrière des femmes, qui doivent jongler avec le travail à domicile, la fermeture des écoles et les responsabilités liées au virus. Contrairement à une récession économique typique, les femmes sont plus touchées que les hommes car les mesures de confinement ont augmenté les tâches ménagères et le travail de soins pour les autres. Cela pourrait entraîner soit un recul des progrès vers l’égalité des sexes, les familles revenant à une division du travail plus sexiste, soit la possibilité que les sociétés commencent à mieux apprécier et valoriser le travail des femmes. Ces effets devront être surveillés à court et à long terme.  

Migration et mobilité

  • Comment la pandémie affecte-t-elle les migrant·es, y compris ceux·celles qui ont immigré temporairement et ceux qui prévoient d’immigrer ?
    La restriction des déplacements, les appels à la distanciation sociale et la fermeture des frontières ont réduit la mobilité et les migrations tant internes qu’internationales. Les migrant·es qui quittent leur famille pour un travail saisonnier ou lié aux soins sont incapables d’apporter un soutien financier à leur famille restée au pays et sont également séparés d’elle. Ceux·celles qui étaient dans une phase de transition et qui cherchaient à poursuivre leurs études ou à trouver un nouvel emploi sont désormais incapables d’atteindre ces objectifs. Ceux·celles qui ont besoin d’un refuge parce que leur vie est en danger souffriront également s’ils ne peuvent pas quitter leur foyer.

Aller de l’avant

  • Pourquoi avons-nous besoin d’une perspective de parcours de vie pour cette pandémie ?
    Les chercheur·es peuvent faire des comparaisons dans le temps, car l’impact de la pandémie dépend de l’âge et du stade de vie de chacun. Les chercheur·es se doivent d’examiner les biographies passées des individus pour comprendre pourquoi certaines personnes peuvent être plus vulnérables. Ils·elles peuvent également se tourner vers l’avenir pour voir comment des transitions retardées, par exemple, affecteront le développement futur d’un individu ou comment l’incertitude affecte leurs perceptions et leurs plans pour l’avenir.
  • Quelles sont les données nécessaires ?
    À mesure que la pandémie se développe, nous devons continuer à surveiller les changements sociétaux qui seront temporaires, ceux qui seront durables et même ceux qui entraîneront des changements systémiques permanents, et la manière dont ceux-ci affecteront le parcours de vie des individus, des familles et de populations entières. En raison de la centralité du temps et des phénomènes liés au temps dans la recherche sur les parcours de vie, les données longitudinales seront naturellement la ressource de données la plus importante sur la pandémie COVID-19. Les plus grands gains de données seront réalisés en s’appuyant sur les projets longitudinaux en cours qui relient les informations sur la vie avant COVID-19 aux expériences pendant et spécifiques à la pandémie. Une collecte de données ad hoc sera également nécessaire pour examiner comment les contextes politiques, les réponses institutionnelles, les réseaux sociaux, l’action personnelle et le sentiment de contrôle affectent la propagation du virus et l’expérience vécue d’un diagnostic COVID-19 et/ou les changements apportés par la pandémie plus large.

La contribution est une traduction en français du digest : https://population-europe.eu/pop-digest/applying-life-course-perspective-understand-effects-covid-19

Settersten Jr., R. A., Bernardi, L., Härkönen, J., et al. (2020). Understanding the Effects of COVID-19 Through a Life Course Lens. Advances in Life Course Research. Available online: https://doi.org/10.1016/j.alcr.2020.100360

Laura Bernardi est professeure de démographie et sociologie des parcours de vie à l’Université de Lausanne et responsable de projets dans le centre de recherche LIVES. Elle est également membre du conseil national de la recherche du fond national de la recherche scientifique suisse et du conseil scientifique de FORS – le Centre de compétences suisse en sciences sociales. Elle étudie l’évolution des familles et des parcours de vie dans leur fascinante complexité et diversité. 

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